Découverte-mag n°14

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La passagère de la cabine 116

La passagère de la cabine 116, le roman dont vous êtes l'auteur(e).

Chères lectrices, chers lecteurs, vous êtes sur le point de lire le premier chapitre du roman évolutif initié par Pierre Paget. Il place habilement les premiers éléments de l’intrigue tout en vous laissant une grande liberté pour écrire la suite. Alors, lisez-le attentivement et, à vos plumes ! Les informations relatives à ce concours d’écriture peuvent être consultées ici.

Céline n’en revenait toujours pas. Depuis près de deux ans maintenant, elle recevait régulièrement des missives électroniques qui se terminaient toujours par la même formule : “Amitiés, N.”. Sa première réaction avait été assez violente. Les courriers anonymes sont rarement le fruit d’une bonne attention. Et pourtant, aucune intrusion dans sa vie, pas de tentative de drague lourde. À tel point qu’elle était incapable de déceler si le mystérieux N. n’était pas en fait une mystérieuse N.! Alors, elle s’était laissée prendre au jeu et considérait désormais N. comme un être hermaphrodite.
Toujours est-il que N. voulait rester discret. Céline avait fini par considérer que cet épistolier, plutôt doué, avait sans doute un prénom à la mode en 1980. Elle avait donc consulté Google pour trouver des indices mais la tâche s’était avérée vaine. Il y en avait des dizaines, autant pour les garçons que les filles. Alors, lassée, elle n’insista pas. Et voilà que cette belle âme lui avait demandé de bloquer deux semaines et de lui faire une copie de son passeport. Ce serait, lui avait-il dit, pour fêter son ‘ renouveau’.
Lors de ses épanchements électroniques, Céline avait avoué à N. qu’elle souffrait encore. Un burn-out qui avait fragilisé la femme ambitieuse et volontaire qu’elle était alors. Cette invitation était un rayon de soleil dans le ciel obscur de sa vie. Confiante, elle ne s’était nullement offusquée de cette proposition plutôt incongrue.

Depuis sa plus tendre jeunesse, Céline aimait les ânes. Contrairement à la croyance de la majorité des humains, elle pensait que les ânes étaient des animaux très intelligents. Elle était fière de prétendre qu’elle était opiniâtre comme eux. D’ailleurs si l’âne semble être têtu, parce qu’il recule parfois plus qu’il avance, n’est-ce pas parce que son comportement traduit en réalité prudence, attention et circonspection ? Une simple décalcomanie de son propre comportement, après tout, songea-t-elle en souriant. Lorsque sa grand-mère était enfant, les enseignants mettaient le bonnet d’âne sur la tête des cancres de la classe. Sa grand-mère lui apprit un jour que le but de la manoeuvre était de faire passer l’intelligence de l’âne dans leurs pauvres caboches. Céline était aussi dotée d’une bienveillance à toute épreuve. Consciencieuse, mais point frivole, il lui arrivait souvent de faire preuve d’une certaine désinvolture. Sans ces qualités-là, elle n’aurait jamais pu continuer de vivre sa vie d’employée auprès d’un patron, à la nature furieuse et impatiente, qui évoquait une journée de bise, d’un froid glacial à faire hurler les loups. Céline aurait effectivement pu hurler à l’injustice quotidienne, son visage pointé vers le ciel. Mais si les loups, pointant leur truffe de cette manière vers le firmament peuvent ainsi être entendus jusqu’à dix kilomètres à la ronde, Céline n’était point entendue par le patron de l’entreprise, qui n’était autre que son oncle.

Trois mètres à peine séparaient la réception du bureau du chef. Pis, chaque fois qu’il y avait le moindre problème dans l’entreprise, il la menaçait de la renvoyer. Les liens noués avec N. expliquaient donc à merveille que, parfois, l’amitié revêt une valeur plus profonde que celle du sang. L’invitation surprenante, avec pour condition de faire une copie de passeport, laissait augurer, sans aucun doute, un voyage. Il y avait belle lurette que Céline n’avait plus pu se permettre de s’offrir des vacances. Car après tout, elle avait la charge de sa fille adolescente. En scrutant le développement de son enfant, elle constatait du reste, que celle-ci fleurissait à mesure qu’elle-même risquait de se faner prématurément. Son burn-out n’arrangeait donc pas les choses.

Chaque fois que Céline aimait quelque chose, exprimait un souhait qui lui tenait à cœur -comme s’octroyer un petit séjour au bord de la mer- le destin semblait s’acharner à le lui soustraire. Pourtant, persévérante en la croyance que sa bonne étoile finirait bien par l’emporter, ce n’était pas non plus maintenant que son âme rancirait à force d’être secouée par les vagues d’une destinée médiocre. Et puis un jour, elle avait reçu un courrier. Il contenait les billets d’avion, les bons de transferts et un itinéraire d’une croisière en paquebot. Le tout accompagné d’une missive qui l’assurait qu’elle voyagerait seule. N., l’assurant encore une fois de sa bienveillance à son égard, lui avait prédit qu’elle ferait peut-être connaissance d’un monde dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence. Un univers, qui devait sans doute aussi regorger de souffrances similaires aux siennes, mais qui présentait toutefois chaque jour une possibilité de changement. “À chaque escale se présentera un horizon nouveau où tout est possible”. Des perspectives inconnues d’elle-même. Tout ce que sa grand-maman et sa mère n’avaient pas connu. Ce schéma se répéterait donc pour elle et sa petiote ? Ne convenait-il pas enfin de le briser

Et c’est ainsi que son avion avait atterri l’avant-veille à Rome-Fiumicino. Dans le hall de l’aérogare, un homme élégant l’attendait avec une grande pancarte portant simplement “Céline en provenance de Genève Cointrin”. N. l’avait prévenue : “De FCO, notre correspondant t’amènera directement à ton hôtel. Tu pourras ainsi te rendre compte de ‘l’ambiente’ comme disent les Romains. L’ambiance de la Place Campo de Fiori où tu passeras deux nuits est exceptionnelle, tu verras. C’est au cœur de la Ville éternelle. Le lendemain, notre correspondant te fera visiter à pied toutes les merveilles du centre historique, Place Navone, le Panthéon, Place de Venise, le Colisée, le forum romain, la très célèbre fontaine de Trevi, la Place d’Espagne, le Castel Sant Angelo et même le Vatican ». Céline s’approcha de l’homme et lui dit en souriant :
– Je suis Céline… Je viens de Genève.
– Ah, enchanté ! Je m’appelle Nino. Je serai votre chauffeur et votre guide jusqu’à samedi. C’est moi aussi qui vous mènerai à votre port d’embarquement. Venez, je vous conduis à votre hôtel.
Surprise par le prénom de son chauffeur et guide, Céline le regarda droit dans les yeux et osa :
– Donc N. comme Nino ?
– Excusez-moi Madame, mais je ne comprends pas. Que voulez-vous dire par-là ? lui demanda-t-il poliment avec son sympathique accent chantant.
– Oh, c’était juste une petite réflexion personnelle. Les prénoms m’intéressent beaucoup, ainsi que leur signification.
– Tout ce que je sais c’est que mon prénom signifie ‘Celui qui règne sur la terre’, alors que Nina signifie ‘ Celle qui possède de la force’. Mais allez savoir pourquoi d’un sexe à l’autre il y a une pareille différence de signification. Serions-nous, nous autres Italiens un peu machos ? Il doit y avoir une bonne vingtaine de prénoms masculins italiens en N. Pour les prénoms féminins, je n’en sais trop rien. Je connais surtout celui de mon épouse, Natalina, qui signifie ‘ Le parfum de la terre’. Et elle se parfume à l’eau de toilette ‘ Nina Ricci’. Et lorsque je hume mon épouse, c’est la vie que je sens.
– Pour la différence des significations, c’est effectivement un mystère, Monsieur Nino, répondit timidement Céline. Je viens à Rome pour la première fois. De l’Italie, je ne connais pratiquement rien, à part Ventimiglia. Et encore “connaître” n’est pas le bon terme, n’est-ce pas ? Surtout que je n’y ai fait qu’une randonnée.
Un peu plus tard, Céline pénétra dans sa chambre d’hôtel, au sixième étage. Elle fut saisie d’une émotion tellement forte, qu’elle sanglota, sans en comprendre la raison.

Le Boutique Hôtel Campo de Fiori était tout simplement merveilleux. Les couleurs, la disposition des meubles et la luminosité de cette pièce avaient un je ne sais quoi d’enchanteur. Sa chambre donnait sur un petit balcon. Toute excitée et sans plus attendre, elle s’y rua et resta un long moment à contempler les toits de la Ville éternelle.
Quelques minutes plus tard, elle se trouvait sur la grande terrasse de l’hôtel à siroter un verre de Moscato d’Asti, un plaisir qu’elle s’offrait parfois chez elle, mais naturellement, dans une ambiance totalement différente.

– Tous les matins, à l’exception dimanche, se tient un marché de fruits et légumes, à la Piazza Campo de Fiori, lui avait dit Nino. C’est à deux pas de votre hôtel éponyme. Mais nous n’aurons pas le temps d’y aller demain.  Allez-y ce soir, il y a une quantité de bons restaurants. Au milieu de cette place trône la statue du moine Giordano Bruno, martyr de la liberté de penser. Il y fut brûlé vif ar l’inquisition en 1600. L’univers infini et la pluralité des mondes qu’il prônait ne plaisait pas aux pères de l’Église toute puissante à l’époque. Ils l’ont éliminé. Que voulez-vous… on était encore loin des découvertes de la physique quantique.
C’est donc ce que fit Céline qui, émerveillée de tout ce qui l’entourait, se délecta d’une spécialité italienne. Elle fit le tour de cette grande place avant de rentrer à son hôtel. Elle dormit comme une marmotte.
Le lendemain, elle se leva à huit heures. Il lui restait une heure et demie jusqu’à ce que Nino vienne la chercher et l’emmène à la découverte de la place Navone, le Panthéon, la place de Venise, le Colisée, le forum romain, la fontaine de Trevi, la place d’Espagne, le château Saint-Ange et le Vatican. 
Après sa toilette, Céline descendit prendre son petit déjeuner. Le buffet était somptueux et elle se régala. Alors qu’elle savourait son jus d’orange frais, un groom lui apporta une enveloppe sur un petit plateau argenté. En guise d’expéditeur, l’enveloppe arborait d’étranges signes : —–ॐ
Elle était adressée à la “Gentile Signora Céline”.
Céline découvrit le message, écrit élégamment à la main, à l’encre noire :

Attention, chère Madame, Le danger vient d’Amsterdam ! À Civitavecchia, vous, trop bavarde, Ne serez plus sur vos gardes…
Une personne qui vous veut du bien

Céline fut presque en état de choc. Que signifiaient ces rimes ? Qui les avait pondues ? Elle interrogea le groom.
– C’est la réception qui m’a chargé de vous remettre ce pli, signora, lui répondit-il, le regard fuyant. Il ne savait rien. Énervée, Céline quitta la table et se rendit d’un pas décidé à la réception, pour savoir qui lui avait laissé ce message. Malheureusement, elle n’en retira pas davantage. Les deux réceptionnistes se lancèrent dans des descriptions contradictoires. Pour la première, le dépositaire du pli était un élégant quinquagénaire. Tandis que la seconde déclarait qu’au contraire, c’était une bien sympathique quadra. Une femme!
– Que de mystères, soupira Céline. Elle fut interrompue dans sa rêverie par l’arrivée de Nino.
La journée s’annonçait belle, captivante et peut-être fatigante. Ce constat s’avéra juste lorsqu’après une journée éreintante à parcourir Rome à pied, Céline se coucha vers 22 h. Elle avait oublié les avertissements de la lettre. Demain serait un nouveau jour puisque Nino allait l’emmener au port de Civitavecchia, où son paquebot l’attendait.
– Tu verras, Civitavecchia est romantique avait écrit N.
– Tiens donc, romantique, se dit-Céline, comme si la vie réelle -au-delà de ce qui est imaginable- pouvait être qualifiée de romantique. Comme si les gens pouvaient être choqués à la simple idée que les femmes et les hommes puissent être mus, toute leur vie, par des sentiments. Ah, les sentiments, ah l’amour, songea-t-elle. Elle se souvint soudain avoir participé à une conférence sur Stendhal, l’éternel amoureux qui avait fini par obtenir le titre de consul à Civitavecchia, justement.

À l’époque, elle avait flashé sur le jeune conférencier si éloquent. Elle se rappela aussi que Stendhal, en poste à Civita-Vieccha, avait appris que la belle avec qui il avait des relations intimes avait un autre prétendant qui allait certainement parvenir à l’évincer, car lui, contrairement à son rival n’avait pas un physique séduisant. Désespéré, il avait demandé à sa hiérarchie diplomatique un congé de 3 mois. Mais à force d’absences de plus en plus longues, il s’était fait rappeler à l’ordre. Heureusement pour lui, un nouveau ministre avait été nommé. Il adorait son oeuvre. Il lui accorda donc, sans sourciller, un congé de 3 ans avec maintien de ses appointements.
” Ce n’est pas à moi qu’une si grande chance serait accordée” songea-t-elle. De fait, elle ne pensa même pas vraiment à visiter cette petite ville. Celle de Rome avait été délicieuse.

Comme Céline était une nature simple, il lui fut facile d’admirer les belles Romaines bien habillées sans la moindre envie. Céline, ne connaissait pas vraiment l’envie ni la jalousie. Son bienfaiteur ou sa bienfaitrice lui avait certes donné quelques conseils vestimentaires, faciles à réaliser, car n’avait-elle pas une grâce naturelle? Enfant, son père n’avait hélas ! pas su la choyer et voilà que des dizaines d’années plus tard, il lui semblait qu’enfin quelqu’un prenait soin d’elle sans rien demander en retour. On lui avait surtout conseillé de porter des couleurs vives et gaies et de montrer aussi un ‘peu plus de jambes’ qu’elle ne se l’accordait d’habitude.
– Il y aura aussi chaque jour, une petite lettre pour toi, numérotée où tu trouveras quelques indications. Tu pourras ou non suivre les conseils, selon ton instinct, un sens inné qu’il convient à chacun de travailler. N. lui avait surtout recommandé de se laisser complètement aller, de ne pas chercher à comprendre, une attitude primordiale pour débuter un voyage aussi bien extérieur qu’intérieur. D’où la nécessité absolue de faire ce voyage seule. Alors, elle avait fait confiance.

À Civitavecchia, Nino avait tout de suite trouvé le bon quai où était amarré le petit paquebot de charme. Céline avait été époustouflée par l’élégance du navire. Le personnel manutention à bord avait saisi ses bagages, une valise et un bagage à main. Nino lui avait fait ses adieux devant la passerelle d’embarquement. Elle avait été accueillie avec gentillesse. Elle n’était pas habituée à autant de prévenance. Son steward lui avait montré sa cabine avec balcon. Et là encore, comme à l’hôtel à Rome, elle s’était à nouveau extasiée devant tant de beauté. Comme il était à peine midi et que son navire appareillerait vers 18 heures, on lui avait chaudement recommandé d’aller visiter la ville.
Comme elle avait tout son temps, elle flâna le long du front de mer pour gagner, en une vingtaine de minutes, le cœur de cette petite ville.
Inutile de prendre un taxi ou autre réseau de transport en commun lui avait-on annoncé à la réception de son paquebot. Si le cœur vous en dit, marchez le long de la promenade bordée de palmiers le long de la longue plage de la ville.
Céline visita d’abord le fort Michel Angel à proximité du port. Peu portée sur la religion, la Cathédrale de Saint François d’Assise (Cattedrale de San Francesco d’Assisi ) lui sembla trop simple d’extérieur pour être visitée. Pourtant, une certaine intuition lui dit qu’elle pourrait se tromper. En effet, l’intérieur lui parut surprenant et au final, elle apprécia l’apaisement qui se dégageait du lieu. Les sculptures sur la grande place ne lui firent pas la même impression que la statue de Giordano Bruno : des sculptures, des parterres de fleurs et des crèmes glacées pour votre plus grand plaisir ! 

Il était 14 heures lorsqu’elle se mit à la table d’un petit café-restaurant et commanda un ‘ Spritz’, boisson qu’elle goûtait pour la première fois de sa vie. Trois jeunes hommes, à la table d’à côté, parlaient une langue difficile à reconnaître. Pas de l’italien en tout cas. Le seul mot qu’elle reconnut fut “Amsterdam”, qu’ils prononcèrent plusieurs fois. D’emblée, ils lui parurent sympathiques. Au détour d’un regard, Céline engagea la conversation en leur demandant, en anglais, quelle langue ils parlaient. L’un d’eux lui répondit que c’était du sarde, une langue que seuls les habitants de Sardaigne et ses expatriés parlaient. Les jeunes lui dirent que cette langue était incompréhensible, même pour ceux qui parlaient un dialecte italien. Ils aimaient parler le sarde entre eux, plutôt que l’italien, pourtant également parlé et écrit sur leur île. Céline leur demanda, dans son bien mauvais anglais, s’ils connaissaient la composition du Spritz qu’elle buvait. Quel aurait été son plaisir de pouvoir engager la discussion en italien! Le plus grand des trois lui donna la recette: 3 cl de vin blanc pétillant comme le prosecco, avec 2cl de Campari et un peu d’eau de Tonic original. De papotage en bavardage, son attention fut soudain attirée par un enfant de deux ou trois ans, qui marchait en tenant la main de sa mère. Lorsqu’elle retourna la tête vers la table, l’un des trois jeunes gens approchait étrangement sa main vers son verre de Spritz. Il la retira brusquement, comme si un serpent l’avait mordu. Ce comportement lui parut bizarre. Que mijotaient donc ces gamins ? Mais en même temps, ils avaient l’air si mignons. Elle leur aurait donné le bon Dieu sans confession. Il lui vint soudain à l’esprit qu’elle était à Civitavecchia et qu’elle bavardait, bavardait. Elle se remémora la petite boutique de mode juste à côté du bar. Puis, elle sortit subrepticement un billet de 10 euros, le plaça discrètement sous son verre. Les trois jeunes gens, surpris dans leur tentative infructueuse, semblaient faire diversion et ne la regardaient pas. Empoignant son sac à main, elle quitta son siège à toute vitesse, pour s’engager dans la boutique de fringues, juste à côté. Elle entendit le cri : “porca puttana troia” et se rendit compte, avec effroi, qu’elle était poursuivie. La boutique avait deux entrées sur deux rues différentes. Grâce à ce subterfuge, elle sortit de l’autre côté et s’engouffra dans un restaurant où elle serait en sécurité. Cachée derrière les rideaux, elle vit ses poursuivants arpenter les lieux pendant quelques minutes et partir en courant tous les trois. Elle fit ce qu’il y avait de mieux à faire dans ces circonstances. Elle demanda un taxi qui la ramena au bateau. Il était 16h 30.
Céline raconta son étrange aventure au 1er officier du bateau qui la regarda sévèrement.
– Chère Madame, une femme comme vous, si jolie, vous l’avez vraiment échappé belle. Vous n’avez pas qu’un seul ange gardien, vous en avez une ribambelle! Personne ne vous a prévenue? Civitavecchia est connu pour être une plaque tournante du trafic humain pour la prostitution forcée. D’après votre récit, vous avez évité de justesse de tomber dans leurs filets. Leur technique est simple : ils lient connaissance avec vous et à votre insu, ils versent un puissant somnifère dans votre verre. Ensuite, ils vous emmènent à une voiture garée à proximité. C’est ingénieux car personne ne remarque ce rapt, car pour les gens vous êtes ensemble. Une bande d’amis, quoi. Ces criminels vous auraient ensuite injecté de l’héroïne qu’ils se procurent à Amsterdam. Vous n’auriez alors été plus qu’un corps enfourché jour et nuit par des hommes de tout âge, de toute catégorie sociale: des intellectuels, des travailleurs, des chômeurs, des criminels, et des policiers… ou des militaires… eh oui, même en uniforme. Une jeune et jolie femme, peut-être un peu trop naïve comme vous l’êtes, face à 3 mecs bien décidés est bien faible. Mais, fort heureusement, vous avez réagi avec intelligence et célérité, consciente du danger que vous guettait.
Céline n’en revenait pas.
– Mais c’est affreux, dit-elle d’une voix tremblante. Et ça arrive aux portes de Rome ?
– N’oubliez pas que Civitavecchia est une plaque tournante dans le transport maritime en tout genre, et pas seulement des passagers. Depuis Civitavecchia, on peut atteindre non seulement des îles comme la Sardaigne, la Corse, la Sicile mais aussi la Tunisie sans parler des autres ports du monde. Oubliez cet incident. Cela n’arrivera plus jamais. Ailleurs, c’est beaucoup moins dangereux. Et si vous voulez être en sécurité, faites-vous accompagner. Ou alors, ne quittez jamais votre verre des yeux.
– Mais à mon âge… J’ai tout de même un peu plus de 40 ans et non plus 20 ans.
– Ces bandits auraient juste touché un peu moins d’argent… c’est tout. Pour eux, la vie n’a aucune valeur, car ils savent bien qu’ils peuvent être abattus d’une balle de Mauser pour une peccadille.
Sonnée par ces révélations, Céline remercia son interlocuteur et se dirigea vers sa cabine. Pour se changer les idées, elle sortit sur son balcon privé au moment où le navire appareillait. « Comme c’est étrange d’avoir un balcon sur la mer », se dit-elle. Apparemment un vrai luxe. Elle resta longuement accoudée au bastingage, à admirer le paysage changeant de cette fin de journée. À Civitavecchia, elle n’avait pas vraiment réalisé qu’elle embarquerait sur un magnifique paquebot de croisière. Maintenant, Civitavecchia n’était plus qu’un mauvais souvenir à plus de 300 km. Sans l’avertissement de la drôle de lettre qu’elle avait reçue à Rome, elle aurait été perdue. Désormais, elle était ailleurs, plus loin dans son périple.

Depuis son balcon sis sur le pont 4 de son navire, elle vit arriver une petite vedette rapide qui se positionna, à vitesse réduite à hauteur du paquebot. D’abord, elle prit peur… on entend tellement d’histoires dangereuses pensa-t-elle. Sur le toit était indiqué en grandes lettres noires foncées le mot PILOTE. Elle vit alors grimper à une échelle accolée au bastingage un homme vigoureux d’à peu près son âge. Bien que trapu, il était agile. Une question lui vint alors à l’esprit : que venait donc faire cet homme ? Lorsqu’il disparut de son champ de vision, elle porta son regard sur le lointain. C’était donc ça la baie de Sorrente. Indubitablement l’une des plus belles d’Italie. Pour des raisons qu’elle ignorait totalement, le capitaine avait dû faire un détour avant d’accoster Naples car ce n’était pas vraiment sur la route maritime. Quelques navires mouillaient au loin. ‘Mouiller’, drôle de verbe se dit-elle en ricanant. N. lui avait appris ce que signifiait mouiller en termes maritimes.
Plus tard, elle contemplerait la vue que voici en faisant la promenade recommandée.

Pilote qui aborde un navire dans la baie de Naples
Par Danny Cornelissen — http://www.portpictures.nl

Mais pour l’heure, on accosterait sans doute d’abord à Naples. Céline se tenait debout en chemise de nuit, sur son balcon. L’avant-veille, à Rome et après son embarquement au port de Civitavecchia, elle s’était un peu exposée au soleil. L’homme qui venait de disparaître la laissa songeuse. Que signifiait « Pilote » ? N’y avait-il pas de capitaine à bord pour piloter ce somptueux paquebot? Elle avait pourtant eu l’occasion d’admirer les galons du commandant de bord avec une boucle.

Elle se remémora la journée d’hier au port d’embarquement. D’abord, elle avait été époustouflée par un paquebot énorme. Le sien, ainsi que l’avait laissé entendre Nino, était à taille humaine. Les nouveaux navires étaient trop grands, trop bruyants, trop truffés de bling bling électronique superflus pour passagers aimant le superflu. Le sien était plus petit que les autres. Lorsqu’elle avait emprunté la coursive puis était entrée par une porte quelconque, elle avait été subjuguée par le luxe des lounge-bars et du grand atrium à la réception. Et lorsqu’un steward l’avait accompagné à sa cabine, elle avait presque pleuré d’émotion, comme à Rome, tellement sa cabine-balcon était belle.

Et dire qu’elle allait passer une bonne dizaine de jours dans cet espace magnifique. Mais où avait-elle laissé les enveloppes, une par jour lui avait dit N comme N… ? Il y avait bien là exactement dix enveloppes, chacune d’une autre couleur. La première enveloppe portait le no 1 et était de couleur orange… sans doute cette couleur voulait-elle signifier quelque chose, puisque chaque enveloppe arborait une teinte différente. Elle relut donc la toute première qu’elle avait décachetée avec émotion à bord. Elle la relisait pour la seconde fois, encore ébranlée par ce qui lui était arrivée.

Pont de promenade sur un navire de croisière
Le pont promenade.

Chère Céline,
Si j’ai choisi des couleurs différentes pour tes enveloppes, c’est parce que j’aimerais te rappeler ce que tu sais depuis longtemps, d’ailleurs : le langage des couleurs. Il y a le langage des fleurs que l’on ne connaît plus guère de nos jours. Il y a le langage des oiseaux qui est un langage spécial, par exemple, la maladie ‘la mal a dit’. Mon amie Anik a beaucoup ri de ma trouvaille : la sensue allitée (pour la sensualité), mais en langue française, on pourrait en faire un bouquin. Mais, revenons à nos moutons : les couleurs.

L’orange est un coloris très vif symbolisant des valeurs comme l’audace, l’intelligence, la loyauté et surtout la confiance qui importe tant pour toi en ce moment. Mais l’orange est aussi paradoxalement la couleur de la méfiance, selon certaines écoles. Au delà de ces interprétations, retiens simplement que l’orange représente la chaleur et le rayonnement, une couleur dont tu as particulièrement besoin. Je te recommande d’ailleurs de choisir des vêtements ayant de beaux coloris, parce qu’il faudra peu à peu te détacher des couleurs sombres, ternes ou qui ne te mettent pas en valeur. Il conviendra d’ailleurs aussi d’arrêter de cacher ta belle personne, ainsi que ta belle aura, derrière des vêtements peu éclatants ou trop vastes comme si tu ne voulais pas que l’on te voie. Tu finiras par choisir des vêtements qui dévoileront ta frêle silhouette, mais sans exagération. C’est aussi pourquoi tu es ici, à bord, pour faire l’apprentissage d’une nouvelle vie qui te redonnera pleine confiance. Tu étais tout le contraire du paraître, et il ne s’agit donc pas de paraître –ce qui ne t’irait pas– mais tout simplement d’apprendre à ÊTRE. Être toi.
Hier, tu auras sans doute admiré tous les beaux magasins sis à la place de l’Espagne et tu te souviendras de cette image-ci
puisque tu auras vu toutes les magnifiques petites brunes romaines très chics. C’est comme le chic des petites femmes parisiennes, seulement plus au sud. Je sais que tu n’es pas envieuse et que tu n’accordes pas beaucoup de place au paraître et tu as bien raison. Tu auras vu d’autres bâtiments et endroits historiques, car Rome vaut le détour et ce, plusieurs fois. C’est aussi pour cette raison que j’ai choisi ce magnifique hôtel qui t’aura plu, sans aucun doute.
Hier, à Civitavecchia, tu as fait ton check-in. Tu te seras peut-être étonnée que l’on prenne une photo de toi et tes empreintes digitales… c’est normal. Tu as reçu une carte, de type carte de crédit, que tu devras présenter dorénavant chaque fois que tu entres ou que tu ressors du navire. Ainsi, l’équipage saura toujours si tu es à bord ou pas. Tu pourras aussi la présenter lorsque tu désireras un cocktail ou une spécialité, ou si tu veux acheter quelque chose dans une boutique à bord. Mais ne te laisse pas séduire par des offres mirobolantes. C’est comme dans la vie… attends, regarde, patiente et agis seulement alors. Car les boutiques font cela toutes les semaines et ce sont toujours des attrape-nigaud, ces soi-disant soldes qui sont de plus en plus désignées par ‘ sales’, ce qui est une stupidité sans nom puisque ‘sales’ veut dire tout simplement ‘ ventes’.
Je t’invite à te promener sur le pont promenade… quand tu veux, car ce pont sera toujours accessible.
Tu pourras aussi aller tous les soirs au spectacle si tu en as envie… Cela te changera les idées. Il y en a de très beaux et naturellement c’est gratuit… comme toutes les infrastructures à bord.

Avant que tu entres dans ta jolie cabine, tu auras pu apercevoir l’atrium. Ces atriums sont tous à peu près pareils et suivant la grandeur ou plutôt suivant la hauteur des paquebots que l’on désigne par étages (= pont), tous reposent sur un même concept. L’atrium c’est la réception, l’information, le point de rendez-vous, le point de mire du navire. C’est de là que montent les ascenseurs vers les ponts plus élevés.
Maintenant, il faut que je te parle de ton trajet. Civita Vecchia, le port de Rome….

Céline appréciait le luxe étheré de sa cabine. Image PONANT.

Tu ne l’auras peut-être pas vue comme il faut, parce que j’ai préféré te faire découvrir Rome avec Nino. Sinon je t’aurais commandé directement un transfert de FCO à ce port où tu as déjà embarqué puisque tu es à bord maintenant et que tu as appareillé vers 18 h00. Mais comme tu es déjà dans ta cabine en train de lire cette première lettre orange… D’ailleurs félicitations pour ton pull orange, il te va très bien et c’est bien aussi que tu l’aies pris pour les soirées. Sur le pont promenade, la nuit, il y a toujours une petite brise frisquette. … Je disais donc que tu as le temps de sortir, car il est à peine midi. Tu pourras monter tout en haut du navire où tu trouveras le buffet avec tout le tralala pour étancher ta soif et ta faim. Mais regarde d’abord avec tes yeux et pas avec ton ventre… sinon tu vas prendre des kilos, tu sais. Après ton repas, tu pourras sortir en ville… ce n’est pas loin…Tu aimes marcher.
Naples, ta prochaine escale.
Demain matin tôt, c’est la vedette du pilote qui éveillera en toi la conscience que ton paquebot est sur le point d’arriver à Naples. Comme tu n’es jamais allée sur un paquebot, tu ne te rends peut-être pas compte de la différence d’avoir une cabine balcon, parce que tu peux laisser entrer la lumière, entendre le vent et le chant des vagues et surtout, éteindre la clim et laisser la porte-fenêtre ouverte tout le jour.

Dans une autre lettre, je t’apprendrai comment on peut tout à fait vivre des rêves et oser des désirs. Ton paquebot fait chaque fois de petits sauts de puces de plusieurs centaines de kilomètres pendant la nuit, ce qui te donne toute latitude de jouir de ta journée. Ici, dans cette lettre à enveloppe orange, je t’annonce ce que pourras y découvrir.
Ça, c’est Naples.

On dit, « Voir Naples et mourir » mais ne meurt pas de sitôt, chère Céline, tu as encore amplement le temps pour cela… et puis d’autres voyages t’attendent. Mais pourquoi dit-on cela ?
Les Italiens, eux, disent
« Vedi Napoli e poi muori », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. « Vois Naples et puis meurs ». Tu m’as dit que tu n’étais pas très douée en langue. Pourtant il serait nécessaire que tu apprennes mieux l’allemand et l’anglais. L’italien est beaucoup plus beau, mais il ne te servirait qu’ici. D’abord l’allemand que tu pourrais apprendre sur Babel. Ne serait-ce pas là une idée formidable ? Je suis sûr que tu y arriverais, puisque tu es une femme intelligente. Bon, revenons à cette expression. Tu penses bien que cette ville âgée de plus de 2500 ans en a vu de toutes les couleurs. Je ne vais pas t’embêter avec de l’histoire, puisque je ne sais pas si tu t’y intéresses au fond. Lorsque tu reviendras de ta croisière, tu me diras si l’histoire t’intéresse ou non. Il y a eu des poètes, des écrivains et des philosophes qui furent totalement amoureux de femmes et de villes comme Naples. Et qui auraient dit qu’il fallait au moins avoir vu Naples une fois dans sa vie avant de mourir! Au fond, c’est comme si je te disais que si tu n’as pas vu Yvonand, tu n’as rien vu du Lac de Neuchâtel, hein? Le célèbre Goethe (mais qui de vous autres de la jeune génération en a encore lu cet auteur d’une autre époque?) écrivait dans son journal de voyage en Italie, de Naples: « Quoi qu’on dise, quoi qu’on raconte ou qu’on dépeigne, Naples dépasse tout: la rive, la baie, le golfe, le Vésuve, la ville, les campagnes voisines, les châteaux, les promenades… J’excuse tous ceux à qui la vue de Naples fait perdre les sens ».

Pour ma part, j’espère que tu auras vu un peu Naples sans aucune envie de « mourir ! Car effectivement tu vas voir peu de Naples pour cette fois. De fait, tu auras plusieurs choix : voir Pompéi, ou l’île de Capri… Et après la lecture de ma première longue lettre, va au bureau des excursions si tu optes pour Pompéi ou pour Capri. Si tu optes pour la côte d’Amalfi, tu auras des propositions au port. De toute manière même si tu visitais la ville à pied, ce qui est tout à fait possible, tu ne verrais pas grand-chose car il faut plusieurs jours pour apprécier cette ville fabuleuse. Regarde le plan que je t’ai fait pour que tu comprennes mieux. Ça, c’est le Vésuve et Pompéi devant.

Les ruines de Pompei.

Il faut que je regarde dans ma bibliothèque, je crois que j’ai encore Les Derniers Jours de Pompéi (titre original : The Last Days of Pompeii), le roman historique écrit par sir Edward Bulwer-Lytton en 1834. Ce roman culmine avec la description de l’éruption du Vésuve et la destruction de la ville de Pompéi en 79 après. J.-C..
L’idée de son roman lui était venue après qu’il ait vu, exposé à Milan, le tableau du peintre russe Karl Briullov intitulé Le Dernier Jour de Pompéi, peint d’après nature lors d’une visite de l’artiste à Pompéi en 1828, tableau considéré comme son chef-d’œuvre. Lorsque tu iras un jour à Saint-Pétersbourg tu verras cette peinture monumentale conservée au musée russe.

Pompéi, année 79. Glaucus, notable athénien, arrive dans ville de Pompéi, bruyante et animée. Il tombe très vite amoureux de la belle Grecque Ione. L’ancien tuteur de celle-ci, le malveillant sorcier égyptien Arbaces, grand-prêtre du culte de la déesse Isis, a des vues sur la jeune femme. Il entreprend de détruire le bonheur naissant du jeune couple. Il a déjà anéanti Apaecidès, le frère sensible de Ione, en l’incitant à devenir prêtre d’Isis, un clergé en proie au vice. Glaucus sauve Nydia, une esclave aveugle secrètement éprise de lui, de ses maîtres brutaux. Arbacès déclare sa flamme à Ione. Horrifiée, elle le repousse, ce qui le met dans une colère noire. Glaucus et Apaecidès sauvent Ione de son emprise, mais le sorcier est blessé par un tremblement de terre, signe annonciateur d’une éruption imminente du Vésuve. Glaucus et Ione exultent d’amour, au grand tourment de Nydia, tandis qu’Apaecides trouve une nouvelle religion dans le christianisme.
Apaecidès et Olynthus, un des premiers chrétiens, décident de dénoncer publiquement la tromperie du culte d’Isis. Remis de ses blessures, Arbacès surprend et poignarde à mort Apaecidès, et impute le crime à Glaucus. Ione est convaincue qu’Arbacès est le meurtrier de son frère. Le sorcier l’emprisonne dans son manoir ainsi que l’esclave aveugle Nydia. Cette dernière a en effet découvert qu’il existe un témoin oculaire du meurtre d’Apaecidès, qui prouve l’innocence de Glaucus : il s’agit du prêtre Calénus, gardé prisonnier par Arbacès. Ione fait parvenir clandestinement une lettre à Salluste, un ami de Glaucus, dans laquelle elle supplie de les sauver.
Glaucus est reconnu coupable du meurtre d’Apaecidès, et Olynthus, d’hérésie. Ils sont condamnés à être jetés en pâture à des fauves dans les arènes. Tout Pompéi s’y rassemble pour assister aux sanglants combats des gladiateurs. Glaucus est mené dans l’arène avec un lion. Par miracle, la bête l’épargne et retourne dans sa cage. À cet instant, Salluste fait irruption dans l’arène et révèle le complot d’Arbacès. La foule exige alors qu’Arbacès soit jeté au lion, mais il est trop tard : le Vésuve commence à entrer en éruption, cendres et pierres se mettent à pleuvoir, semant la panique parmi la population.
Dans le chaos général, Arbacès s’empare de Ione, mais il est tué par la foudre. Nydia conduit Glaucus, Salluste et Ione en sûreté sur un bateau amarré dans la baie de Naples. Le lendemain matin, elle se suicide en se laissant submerger par les flots. Pour elle, la mort est préférable à l’agonie de son amour non partagé pour Glaucus.
Dix ans plus tard, à Athènes, Glaucus écrit à Salluste à Rome. Il lui fait part de son bonheur et de celui d’Ione. Ils ont érigé un tombeau pour Nydia et tous deux ont embrassé la religion chrétienne.

Tu n’as pas encore découvert tout à fait les plaisirs de la lecture, car ta génération est encore trop empreinte de visuel. Mais crois-moi, tu vas être encore plus éblouie lorsque tu auras aussi lu Zanoni,  du même auteur, ou Vril (absolument époustouflant). Zanoni, raconte une histoire d’amour entre Zanoni, un rosicrucien immortel, et une jeune chanteuse d’opéra nommée Viola Pisani (et là tu aurais le descriptif de la vie mondaine napolitaine d’antan). Zanoni décrit la vie de deux êtres humains devenus immortels. L’un, Mejnour, est sans passion, tandis que Zanoni, son disciple, a atteint un équilibre entre raison et passion. Zanoni possède la jeunesse éternelle, le pouvoir et la connaissance absolue. Sa rencontre avec Viola Pisani bouleversera sa vie, jusque-là idéale et parfaite. Zanoni s’interrogera sur l’intérêt de sacrifier l’amour pour l’Initiation. Tandis que Mejnour reste insensible aux événements qui agitent le monde, il n’en est pas de même pour Zanoni qui est tenté de s’impliquer dans la révolution. Zanoni finira par perdre son immortalité et se sacrifier pour sa bien-aimée.

Bon, Céline, ça c’est pour les livres. On n’en est pas aux livres, puisque tu vis ces moments intenses avec ta propre nature. Et c’est pour cela aussi que tu es partie seule, sans accompagnement… de manière à vivre TES événements pour TOI seule.
Choisis plutôt Capri, même si la visite de la grotte bleue est un attrape-nigaud pour touristes. La mer prend une teinte bleu électrique éclatante grâce à la lumière du soleil qui passe par une grotte sous-marine. C’est beau, mais il existe bien d’autres grottes maritimes toutes aussi belles. Et ne te dis pas
Capri, c’est fini… Rappelle-toi de cette chanson qui fit le tour du monde francophone, mais tu étais encore bien jeune, je pense…

Capri c’est fini
Hervé Vilard

Nous n’irons plus jamais,
Où tu m’as dit je t’aime,
Nous n’irons plus jamais,
Tu viens de décider,
Nous n’irons plus jamais,
Ce soir c’est plus la peine,
Nous n’irons plus jamais,
Comme les autres années.

Capri, c’est fini,
Et dire que c’était la ville de mon premier amour,
Capri, c’est fini,
Je ne crois pas que j’y retournerai un jour
Capri, c’est fini,
Et dire que c’était la ville de mon premier amour,
Capri, c’est fini,
Je ne crois pas que j’y retournerai un jour.

Nous n’irons plus jamais,
Où tu m’as dit je t’aime,
Nous n’irons plus jamais,
Comme les autres années;
Parfois je voudrais bien,
Te dire recommençons,
Mais je perds le courage,
Sachant que tu diras non.

Capri, c’est fini,
Et dire que c’était la ville de mon premier amour,
Capri, c’est fini,
Je ne crois pas que j’y retournerai un jour
Capri, c’est fini,
Et dire que c’était la ville de mon premier amour,
Capri, c’est fini,Je ne crois pas que j’y retournerai un jour.

Nous n’irons plus jamais,
Mais je me souviendrais,
Du premier rendez-vous,
Que tu m’avais donné
Nous n’irons plus jamais,
Comme les autres années,
Nous n’irons plus jamais,
Plus jamais, plus jamais

Capri, c’est fini…

Je pense qu’au contraire, tu y retourneras encore, car ton changement de vie ne fait que de commencer. Et Capri est vraiment belle. Cette île d’à peine 10 km2 est dans la baie de Naples, regarde ma carte plus haut, elle se trouve tout en bas à droite de la carte.

La villa Axel Munthe à Anacapri.

Située à Anacapri, dans l’île de Capri, se trouve la Villa San Michele qui est une villa que fit construire, dans la dernière décennie du XIXᵉ siècle, l’écrivain philanthrope suédois Axel Munthe, qui fut aussi à la fois un médecin mondain à la mode et un médecin des pauvres. La villa n’est pas immense, mais richement meublée et les alentours magnifiques. L’histoire d’Axel Munthe est également captivante. Toi qui aimes marcher, du pourras aussi descendre à pied depuis la villa à Capri en prenant les marches le long de la falaise qui offre également une belle vue sur le port. Et si le cœur t’en dit, va vite à la bibliothèque, juste à côté il y a la salle internet où tu pourras regarder les splendides images sur ce site.

Voilà c’est à peu près tout, ne rate surtout pas l’heure d’embarquement indiquée, car ce serait une catastrophe, tu serais obligée de prendre l’avion de Rome à Naples pour rejoindre ton bateau. Et ce soir, va au restaurant à la carte. Ta table est indiquée sur ton secrétaire … Il y a une petite carte qui te l’indique. A propos : tu auras vu que l’écran de ta télé plate t’accueille avec ton nom… Et as-tu vu la petite bouteille de champagne que je t’ai fait amener par ton steward avec un petit bouquet de fleurs blanches ? Profite de ta vie… même si tu as encore de nombreuses vies à vivre.»
Amitiés N.

Comme la vedette du pilote naviguait encore côte à côte du paquebot et que l’on entendait le ronronnement du moteur, Céline, s’en étonna. Le soleil, toujours plus rayonnant, commençait même à chauffer agréablement la moquette de sa cabine. Oh qu’elle aurait aimé disposer de cette clarté à son domicile, alors que son appartement en pleine vieille ville manquait d’une lumière bienfaisante. Toujours pieds nus et en chemise de nuit, elle se glissa sur le balcon. Ce 7 juillet, le soleil s’était levé à 5h37 et se coucherait à 20h37… c’est du moins ce qu’elle avait lu dans les informations générales la veille, sur l’écran TV. Et comme elle avait laissé la porte-fenêtre de son balcon grande ouverte la nuit, sans non plus tirer les rideaux, c’est le soleil ultra matinal qui l’avait réveillée. Sa cabine donnait à babord, juste le bon côté aujourd’hui pour débarquer à Naples. Mais cela voudrait dire aussi qu’en fin d’après-midi, sa cabine serait à l’ombre. Et finalement sur un paquebot aussi, comme dans la vie, il y avait le côté soleil et le côté ombre, et que « cela » pouvait changer suivant les circonstances. Sauf que sur ce petit paquebot de luxe, on pouvait monter au Pont Soleil et être littéralement irradiée.
Finalement, elle avait dû se décider hier soir pour son escale. Elle avait eu le choix entre l’hydroglisseur qui la mènerait à Capri… et là-bas, elle aurait pu se promener et visiter la villa d’Axel Munthe et faire une jolie promenade jusqu’à reprendre l’hydroglisseur. Certes, cela constituait encore un petit risque car N. lui avait bien expliqué : «soit tu y vas seule, soit tu prends les excursions organisées par la compagnie maritime. Et soudain, son ancien et inlassable démon de la mésestime de soi, le complexe d’infériorité avait pris le dessus. Certes, N. lui avait dit qu’elle vaincrait ce satané complexe d’infériorité et cette propension à se croire moins bien que les autres femmes.
Au desk, on lui avait gentiment demandé si elle voulait aller à Pompéi avec le groupe. La course démarrait à 11h pour revenir vers 16h. La compagnie maritime organisait le tout. Ainsi, elle n’avait rien à craindre si, d’aventure, il y avait des bouchons de trafic qui retardaient l’appareillage. Son navire attendrait. En plus, elle qui se savait peu instruite trouverait certainement l’occasion d’en apprendre plus sur Pompéi et pourquoi pas, lirait-elle peut-être l’ouvrage cité.
N. lui avait donc offert la meilleure des catégories, une sorte de classe concierge spéciale donnant le droit d’embarquer quasi immédiatement sans attendre au check-in. Cette croisière, elle aurait tellement voulu la faire avec sa fille mais N. l’en avait dissuadée. Le destin en avait décidé autrement et la voilà qui, en plein midlife crisis –la crise de la quarantaine– entreprenait ce périple maritime. Elle devait se retrouver, faire le point sur ce qu’elle voulait faire. Donner à sa vie de nouvelles impulsions.
C’est à ce moment qu’elle réalisa que son ami lui avait glissé dans sa valise un petit bouquin en riant malicieusement. Eh oui, elle l’avait bien sorti ce matin en se réveillant. Il était là sur la commode et portait le titre évocateur La cabine 17. Elle avait encore le temps de se préparer avant d’aller prendre son petit déjeuner. Elle contempla la grande baie de Naples tout en se disant qu’elle lirait juste quelques lignes, pour savoir si elle aimerait cette lecture, car ce n’était, ma foi, pas une grande lectrice assidue.

Il était une fois un magnifique paquebot qui venait de quitter Southampton et qui s’en allait vers New York en faisant un crochet par Le Havre. Il y avait bien des passagers sur ce bateau. Il y en avait de toutes les sortes, de toutes les classes et de toutes les races, mais comme ils ne joueraient aucun rôle dans ce récit, celui qui l’entreprenait ne voyait pas la nécessité d’en parler davantage. L’une de ces personnes, seule, avait pour lui de l’intérêt.

Elle interrompit sa lecture et se dit qu’elle aussi, après tout, devrait dans une dizaine de jours passés sur ce splendide paquebot songer surtout à elle-même. Et qui sait ce qu’elle allait y trouver? Quelles rencontres allait-elle faire ? Puis elle contempla l’image à la page suivante. Céline se rendit compte que c’était le dessin d’un paquebot, tel qu’on les concevait il y a bien longtemps. Et tels les jeunes enfants qui sont nés pratiquement avec un mobile en mains et que l’on appelle la génération des têtes penchées, elle n’arrivait pas à croire que l’appareil figurant sur cette image put être, à son époque, un téléphone servant à la communication entre les humains, pas plus qu’ils auraient vent, un jour, qu’une invention comme le fax ferait long feu et ne servirait quelques décennies plus tard, pratiquement plus à rien.

– Bon, se dit-elle, je ne suis pas à Southampton, en Angleterre, mais bien à Naples ce matin et je peux tout à fait m’imaginer l’émigration de milliers de personnes autour de 1900 ou même avant.
Puis elle reprit sa lecture.
D’elle en revanche, lecteur éventuel, vous allez tout connaître. Elle avait vingt-deux ans, elle était anglaise, ravissante et blonde, fille d’un avocat et d’une ancienne actrice. Elle avait épousé six mois auparavant l’un des hommes les plus jolis d’Angleterre. Elle adorait ce joli homme, ce joli homme l’adorait.
– C’est tout le contraire, chez moi, se dit Céline. D’abord, j’aurai 42 ans le 13 novembre. Ravissante? On me l’a dit… Je suis une brunette, fille d’un ouvrier de fabrique et d’une vendeuse. Pas de quoi briller dans la société. Du reste, comme ma grand-mère et ma mère, je suis une fille-mère célibataire qui répète toujours le même schéma. Il y a à creuser parce que je n’aimerais pas qu’il arrive la même chose à mes descendants.
Le soleil commençait à taper et elle décida de quitter le balcon et de s’habiller pour aller prendre son petit déjeuner, non sans d’abord avoir pris une bonne douche. Oh, elle avait encore bien le temps. Tous ceux qui voulaient participer à l’excursion pour Pompéi devaient se rendre à la salle de spectacle. Elle la trouverait bien cette salle, car hier soir, elle était encore bien trop fatiguée pour aller voir le spectacle. Et après son petit déjeuner, elle se remettrait sur son balcon et lirait alors la deuxième lettre.

Arrivée au restaurant, Céline s’installa à sa table. Soudain, son attention fut attirée par une femme, installée quelques tables plus loin.
– Aïe. se dit-elle en l’observant à la dérobée. Janine, seule à bord du même paquebot? Et super élégante en plus? Ou est-ce que je me tromperais? Ces yeux, ces cheveux, cet ovale du visage? Est-ce vraiment ma cousine?

C’est sur cette dernière question qu’elle, Céline, se fit servir son petit déjeuner.
– On verra bien, se dit-elle.

La suite par Marie Gimeno

La suite par Claude Chabaud

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